Le dernier numéro de Vivre au Jabron va être rapidement distribué dans vos boites aux lettres...
Voici l'édito...
Peut-être que les facteurs au fil du temps auraient eu beaucoup à écrire sur la route de la Vallée. Les facteurs et nous. On a beau penser la connaître par coeur et par le coeur, elle réserve toujours des merveilles au détour d’un virage, auxquelles on ne s’attendait pas. Tapisserie de champs et de vergers, ramures soudaines d’un tilleul illuminé, vieil âne seul dans un coin de folle avoine, carré de sauges sauvages, ou mille vrilles d’une viorne, hampes d’or, millepertuis... On a maintenant des préférences... Combien de fois se surprend-on à ne plus savoir à quel point nous en sommes, entre Séderon et Sisteron, dans une vision qui suspend le cours du jour... et du trajet ? Sur la carte et le territoire lui-même, la route file et se faufile, fringante, nerveuse, parfois même insolente et mutine, puis tout à coup nonchalante, rêveuse, gourmande de vent et de soleil, bombant ses lignes courbes gonflées par l’artère serpentine et scintillante du Jabron. On rêve de faire des écarts, de prendre les traverses... d’aller balader de côté, mais la route nous presse... On se promet toutes les randonnées...
Jusqu’à la deuxième guerre, vendeurs ambulants passaient par là... Ces « marchands de la balle », comme on les appelait alors, (la plupart venant d’Italie avec des caisses ou des ballots qu’ils portaient sur le dos ou en tirant des carrioles), apportaient des objets utiles et « bon marché » et c’était l’occasion joyeuse de se rassembler à chacun des villages. Ils couchaient dans les fermes du pays et achetaient au cours de leurs tournées des produits frais : fromages, oeufs, lait, quartiers de chevreaux ou de brebis. On pourrait consulter des étagères d’archives, rien n’y ferait, ni les dates, ni les actes de loi légiférant les échanges, pour connaître les noms de ces gens de passage. N’empêche. La route d’alliance, de fêtes et de travaux des jours essaime ses métiers et les portraits de gens qui ont choisi de vivre ici, ensemble, d’y construire leur univers et de comprendre la Vallée.
La modernisation d’un pays, les encres des décrets s’en effacent sous le goudronnage, l’électricité, et la voie vagabonde reprend ses droits, ancestrale, nomade... Elle s’avance dans une géographie médiévale, vicinale, où la peste et le choléra ont eu à peine prise. Une géographie pour renards, biches et chevreuils, qui ont habité là bien avant nous. Elle court la campagne, entre son histoire et sa géologie. De ce haut pays qui s’étend de la Lure au Ventoux, nombre de pèlerins se sont épris. La lumière sillonne la Vallée, vient lécher les vieux hameaux hameçonnés comme des oiseaux à leurs perchoirs, s’infiltre dans nos saisons et nos maisons jusqu’à faire des vallons, des collines, des pans de forêt, notre paysage intérieur. Il nous faut promener là, dans l’intime et le mystère. Les arbres portent la montagne et ses chapelles dans leurs branches, sur lesquelles galope la varlope du vent dans des envolées de feuilles qui viennent parfois jusqu’au seuil de nos portes. La nuit, lorsqu’enfin les lumières automobiles s’éteignent, la route du Jabron retourne à ses origines, où malandrins et colporteurs, officiers du roi et gentes dames, bergères et paysans pourraient à nouveau entrer en scène. Le passé enfoui sous l’asphalte se déplie comme ailes de papillon sortant de chrysalide, faisant vie commune avec nous. On aimerait observer le miracle. Tout en préparant l’avenir, prêtant une oreille pleine d’espérance à des mélodies futures...
Corinne Robial